Bouligou et Farcidure
Le cahier d'une gourmande en Limousin
Souvenirs contés, recettes et receptas, histoire et coutumes
ouvrage de Régine Rossi-Lagorce
avec la complicité de Marie-france houdart
prix 23.50 euros
ISBN 2-9517987-b-8
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les recettes
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Extraits
D’abord une bonne soupe…
Il y avait d’abord, ce jour-là, une bonne soupe de légumes
qui fumait dans une soupière ventrue de porcelaine blanche, et puis
des bouts de Cantal dans un bol : « Coupez-en des petits morceaux
pour faire fondre dans votre soupe… », nous dit-elle. Ensuite il
y eut une grande assiette composée de petites farcidures de pomme
de terre, de « pous » grillées, de foie gras aux pommes
et d’une purée d’endives au pain d’épices, avec une salade
de
haricots verts. Puis elle nous apporta, sur un petit « banchou
», tout un
assortiment de fromage du pays et un pot de miel : «
C’est pour manger avec le fromage de chèvre. Vous verrez, c’est
délicieux… ». Enfin, comme dessert, ce fut une pleine jatte
de beignets de fleurs de pissenlit au miel.
Cela se passait sur la place d’un village de Corrèze, et
c’était le menu de tous les jours (ou presque) au Vieux Puits. Régine
Lagorce, cette petite femme au visage rond et aux yeux rieurs, m’avait
fascinée par sa
générosité, son entrain, son inventivité.
C’était la première fois que, dans un restaurant limousin,
je voyais « pous et farcidures » figurer au menu, mis à
l’honneur et servis de façon raffinée et nouvelle. C’était
comme une « nouvelle cuisine limousine » qui puisait dans les
recettes paysannes de base, ressorties de l’oubli, voire du mépris.
Mais après tout, la galette bretonne, la pizza et la polenta, la
raclette et autres tartiflettes à la mode, ne sont-elles pas aussi,
à l’origine, de pauvres recettes paysannes de survie ? On a su en
faire des plats universels, servis de New York à Cotonou. Pourquoi
« pous », « miques » et « farcidures »
ne le seraient-elles pas ? Je ne parle pas de les faire revivre, je parle
de les faire vivre, d’innover à partir d’usages parfois millénaires.
C’est ce que fait Régine, bien loin de toute nostalgie régionaliste.
Depuis qu’elle est toute petite, Régine s’est abreuvée
aux sources de la
tradition culinaire paysanne. Ecoutez-la, cette gourmande, raconter,
avec ce ton simple, tendre et joyeux, comment la petite-fille (qu’elle
était) venait, comme un petit chat, tremper son doigt dans la crème,
tourner avec énergie la cuillère en bois ou pétrir
la pâte sous l’œil de sa vieille tante, écouter les histoires
du grand-père en savourant une tranche de pain bis avec du lard,
guetter le jour de la caillade ou celui des « pous grillées
», et puis sentir, observer, toucher, écouter, goûter.
Et laissez-vous envahir par les effluves, odeurs et saveurs qui s’échappent
de ses mots simples de conteuse.
Ce livre, ce sont donc les histoires d’une petite fille gourmande,
mais aussi les recettes de la restauratrice qu’elle est devenue, qu’elle
a elle-même reçues de Maria, de Jeanne ou de Germaine, les
gestes et les façons de faire qu’elle a entendu évoquer dans
la langue de ses aïeules qui a bercé ses vacances au pays,
cette langue où l’on dit boirar (« bouirer ») pour mélanger.
Et c’est un fait, les mots limousins qui se sont gardés
le mieux sous leur forme francisée, ceux que nous utilisons tous
les jours dans le français d’ici, ce sont les mots de la maison
et surtout de la cuisine, comme « cantou », « toupi »,
« bouirer », « gogue », « tourtou»,
qui s’écrivent canton, topin, boirar, gògas, torton. Si bien
que les personnes qui parlent cette langue qu’elles appellent « patois
» ne les reconnaissent plus quand ils les voient écrits dans
leur orthographe d’origine, où le « o » se prononce
« ou », et où les consonnes finales ne se prononcent
pas.
Nous avons donc pensé qu’il fallait aussi offrir ces recettes
dans cette belle langue qui avait jadis chanté l’amour courtois
et qui seyait si bien à cette œuvre quotidienne qui est celle des
femmes : la cuisine. Nous sommes alors allées rencontrer, à
Peyrelevade sur le Plateau, les joyeux membres de l’Atelier de parler Limousin,
animé par Sylvette Chassaing, qui se réunissent régulièrement
autour de chansons, de techniques, de gestes… et de cuisine, pour parler
leur langue et garder la mémoire de leur culture. Nous leur avons
lu les recettes de Régine. Angèle, Milou, Maryse et Marie
les ont traduites oralement. Puis Sylvette et Maryse les ont transcrites
sur papier. Enfin,
Yves Lavalade, autorité en la matière, a eu la gentillesse
de corriger le texte. Qu’ils en soient tous profondément remerciés.
Sans eux, il aurait manqué un peu d’ancrage à ce livre. Ils
nous suivent de page en page.
Les histoires de Régine viennent de souvenirs familiaux.
Mais en nous les contant, voilà qu’elle les laisse échapper.
Voilà que ses personnages prennent leur envol vers le monde merveilleux
de la mémoire qui enjolive, brouille les pistes. C’est alors que
Barbara Paczula, notre artiste, leur a donné corps et visage. Comme
s’ils avaient reçu souffle de vie, chaque conte s’est alors animé.
Il faut dire que Barbara est, elle aussi, restauratrice de son métier.
Mais ce qu’elle restaure, ce ne sont pas les ventres affamés ; ce
sont les objets d’art, notamment les statues de nos églises, qu’elle
soigne et nourrit pour leur redonner vie. Elle a su mettre une âme
derrière chacune des histoires de Régine et reconstituer
ainsi comme une grande famille groupée autour des topins.
Trois mots sur mon propre travail : les notes « ethno-historiques
» qui suivent chaque histoire. Car nous avons quelque chose en commun,
Régine et moi : un bout de pays. Régine venait à Lamazière-Basse
passer ses vacances chez sa tante et sa grand-mère, et moi je suis
venue y vivre. Toutes deux, qui sommes d’ici sans en être vraiment,
avons à cœur de mettre en honneur, chacune à notre façon,
la lutte de ces femmes qui, jour après jour, quand tout manquait,
devaient s’ingénier à préparer les repas de leur maisonnée
; de faire sentir l’ambiance chaleureuse et parfois dure qui régnait
autour de mets frugaux et de gestes simples, comme des rituels, accomplis
ensemble, « à pot et feu », chacun à sa place
dans le rôle que la tradition lui a donné. J’ai donc essayé,
pour ma part, de replacer ces histoires et recettes dans leur contexte
historique pour donner à comprendre leur origine et leur sens, de
les rattacher à la patiente élaboration de la « cuisine
» depuis l’invention du feu qui « cuit ». De la bouillie
primitive aux douceurs d’aujourd’hui, c’est une petite histoire de l’alimentation
limousine qui, de conte en conte, s’est ainsi élaborée.
Et puis je ne voudrais pas finir sans remercier Danielle Soularue
et Nicole Loche pour leur relecture attentive de ces pages.
Le feu, c’est le foyer, c’est la femme qui cuisine ce qu’elle a
pour nourrir, comme elle peut, sa nichée. Ce livre que nous avons
cuisiné, il s’est fait de la même façon : avec ce que
chacune a apporté… et beaucoup d’amour.
Marie-F.
-En guise d'entrée
-Nous n'avions pas de pommes
de terre
-Le pain de Noël
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